La cité morale des économistes
Essai sur la portée politique de la science économique

Mon e-livre par Antoine Fréjaville

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INTRODUCTION


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Introduction

Notre but, dans cet essai, est d’argumenter quatre propositions successives
- La science économique, au moins depuis Walras, est le projet, directement politique, de faire réaliser le bien public, par des individus qui ne s’en soucient pas. (chapitres 1 à 4)
- Ce projet conduit à une forme de despotisme éclairé (chapitre 5)
- Ce projet a un fondement moral (Chapitre 6)
- Si les individus ont des opinions et s’ils peuvent communiquer, les solutions des économistes peuvent nuire à leur bien être (chapitre 7)
Pourquoi décrire des situations où des agents qui ne recherchent que leur propre intérêt1, parviennent néanmoins au bien public ?
- la justification habituelle du paradoxe est celle de l’ « harmonie spontanée des intérêts », décrite par Mandeville, puis, avec une autre argumentation, par Adam Smith. Il s’agit bien entendu de l’idée de main invisible : les individus guidés par l’intérêt personnel sont conduits naturellement, et sans l’avoir voulu, à réaliser l’intérêt général. Dans ces conditions, ainsi que l’écrit Van Parijs incidemment à propos des « maximes de moralité » comme le respect des contrats: « Ce qui rend éthiquement approprié le respect de ces maximes, comme du reste la poursuite de l’intérêt personnel, ce n’est cependant jamais leur moralité intrinsèque, mais bien leur contribution probable à la maximisation du bien être collectif »2 On peut même, sur cette base « exiger d’eux (des agents) qu’ils se soucient de maximiser leur bien être personnel plutôt que le bien public »3
On peut parler à propos de l’harmonie spontanée des intérêts, de justification instrumentale ou conséquentialiste de l’éthique de l’intérêt personnel. Cette éthique est bonne, car elle conduit aux plus heureuses conséquences.
Cependant, il nous semble que depuis la « révolution néoclassique », cette justification n’épuise pas le sujet. En effet, elle ne peut rendre compte à elle seule de l’habitude systématique des économistes, de postuler que les individus dont ils étudient les comportements, recherchent leur intérêt personnel – ou l’intérêt personnel de leur voisin s’ils sont altruistes – mais jamais l’intérêt général.
Cette habitude nous semble particulièrement visible dans l’ « économie politique », c’est à dire dans l’étude ‘économique’ des comportements politiques. Dans ce domaine de recherche (dont plusieurs spécialistes ont été récompensés par le prix Nobel), l’ « harmonie spontanée des intérêts » ne joue pas. D’abord, parce que les comportements des individus (par exemple, la recherche de rente) ne mènent pas spontanément à la meilleure conséquence collective, et ensuite, parce que ces modèles décrivent presque toujours des situations d’équilibre partiel où l’information dont disposent les agents serait suffisante pour leur permettre de parvenir consciemment au bien public s’ils le recherchaient.
C’est donc que l’idée d’examiner comment des individus guidés par l’intérêt personnel, parviennent au bien public est devenue plus fondamentale.
Selon nous, s’il en est ainsi, c’est parce que deux autres idées se sont ajoutées, dans l’arrière plan intellectuel de la science économique, à l’idée de Mandeville et de Smith.
D’abord l’idée de Jeremy Bentham. Non pas l’utilitarisme, mais l’idée d’une cité idéale dont le théoricien se fait le législateur. L’intérêt personnel a toujours ici un rôle instrumental. C’est en s’appuyant sur lui que l’Etat déterminera les lois les plus aptes à conduire les individus à l’utilité totale maximale, et les récompenses ou les peines les plus aptes à faire travailler ses employés à cette fin. Nous ne sommes donc plus dans la nature. Nous sommes dans une cité conçue par l’esprit du philosophe.
Et ensuite l’idée de Benjamin Constant : le bon Etat est celui qui laisse les individus rechercher leur intérêt personnel dont la poursuite est la composante essentielle de la « liberté des modernes ». On peut peut-être parler ici de libéralisme éthique ou déontologique : l’idée que chacun recherche son intérêt et non l’intérêt général est justifié, non plus par la plus grande satisfaction économique que cela permet, mais par la liberté individuelle qui lui est associée.
Notre thèse est que, à partir de Walras, ces trois idées se sont additionnées ou plutôt combinées, afin de donner naissance à un projet politique qui unifie la pensée économique4.
Chez Walras en effet, l’analyse de ‘la loi de l’offre et de la demande’ s’inscrit dans un vaste projet économique politique et moral, que le plus connu de ses commentateurs, William Jaffé, a qualifié d’ « utopie réaliste ». On essaiera de montrer que Walras n’est pas seulement le père de la « théorie de l’équilibre général », mais qu’il est également le père du projet que nous venons d’esquisser et dont Pareto et les économistes jusqu’à aujourd’hui sont les continuateurs. Nous souhaitons montrer que l’évolution de la science économique, même quand elle s’éloigne des analyses de Walras, constitue à bien des égards, l’approfondissement de ce projet
Ce projet, les économistes eux-mêmes, nous en semblent de plus en plus conscients. Michael Munger écrit ainsi dans la revue « Public choice » : « … there is a single, fundamental, human problem : Construct or preserve institutions that make self-interested individual actions not inconsistent with group welfare »(Public Choice, 2000,p1). Nous ne pensons pas qu’il s’agit “du seul problème humain”, mais nous pensons qu’en effet, il s’agit du seul problème des économistes.
Notre démarche sera la suivante : Nous postulons que l’économie de Walras, et celle de ses successeurs correspond bien au projet que l’on a défini, et nous tentons de montrer que les différentes étapes logiques de la réalisation de ce projet sont celles par lesquelles passent les économistes.
Mais avant cela, il nous semble utile de montrer comment la synthèse intellectuelle que nous venons de présenter, se traduit sur le plan politique.

Socialisme, libéralisme et économisme

Le projet économiste a des points communs avec le socialisme et avec le libéralisme. Pour comparer ces trois projets, on se servira comme guide, d’un texte qui nous semble très clairvoyant de Walras : La lettre ouverte qu’il a écrite en 1863, au publiciste libéral Edmond Schérer. Une des premières phrase de cette lettre est la suivante :
« Libéralisme ou socialisme, c’est la grande, je dirais volontiers la seule et unique question de notre époque ; non seulement elle domine, mais elle embrasse et contient toutes les autres »EESp10
Posons donc cette question et voyons à l’aide de Walras comment les économistes y répondent.

Le socialisme

La doctrine socialiste
Le socialisme, au sens le plus large, repose sur deux propositions qui se complètent logiquement :
1)Le bien public ou intérêt général est un résultat
Walras : « Tous les socialistes, et cela presque sans exception, poursuivent un seul et même but, et ce but, c’est la moralité la plus pure et la plus parfaite, le bien être le plus complet, le plus entier, le plus universel… »(EESp11) « Scientifiquement, les socialistes s’efforcent de trouver, par la réflexion, une formule sociale définitive »(p12)
Pour les socialistes, non seulement l’intérêt général existe, mais il peut être découvert par la raison. De plus, l’intérêt général se réalise dans l’obtention d’un certain résultat déterminé. Disons qu’il reçoit un contenu concret.
La caricature de l’intérêt général déterminé, ce sont les objectifs d’un plan de production. Il faut produire x tonnes de tel ou tel produit…
2)En conséquence, les individus doués de raison peuvent, et donc doivent, rechercher délibérément et consciemment le bien public
Dans son ouvrage posthume publié en 1928 : « Le socialisme », le sociologue Emile Durkheim définit ainsi cette doctrine pour laquelle il a manifestement beaucoup de sympathie «  On appelle socialisme, toute doctrine qui réclame le rattachement des fonctions économiques qui sont actuellement diffuses, aux centres directeurs et conscients de la société »(p49) Pour Durkheim, les idées socialistes s’inscrivent dans l’évolution qui mène les sociétés de l’empire de la religion à l’empire de la raison « Le socialisme est une aspiration pour tirer l’appareil industriel de l’ombre ou il fonctionnait automatiquement, pour l’appeler à la lumière et au contrôle de la conscience »p55
Pour un vrai socialiste, la recherche délibérée de l’objectif à atteindre n’est pas réservée au sommet de l’Etat. Elle doit devenir l’objectif personnel de chacun. C’est ce qu’a exprimé avec vigueur, le ministre socialiste Ernesto Guevara « Tout le monde est plein d’enthousiasme, tout le monde fait des heures supplémentaires, tout le monde s’intéresse à la production, à l’accroissement de la productivité »p54. Pour Guevara, c’est en participant directement à l’objectif collectif que les individus se libèrent de l’obscurantisme.
Dans un régime ‘capitaliste’ en effet « l’homme est dirigé par un ordre rigide, qui habituellement, échappe au domaine de sa compréhension. L’individu aliéné est lié à la société dans son ensemble, par un invisible cordon ombilical »(p181). Dans l’Etat socialiste au contraire « l’ensemble du peuple marche fermement vers le but commun. Il est composé d’individus qui ont acquis la conscience de ce qu’il faut faire »p295. Par exemple, à propos de la « qualité », Guevara écrit « C’est de la qualité que nous devons donner à notre peuple. C’est pour chacun de nous une obligation qui fait partie de notre devoir envers la communauté. Nous devons fournir le meilleur produit possible pour son utilisation, qu’il soit produit de consommation ou moyen de production »p99

La morale prêchée par les socialistes
La morale socialiste est le complément logique de la doctrine socialiste. En effet, les individus ne sont pas forcément spontanément disposés à s’oublier eux-mêmes au profit du bien public.
Dans son ouvrage « L’éducation morale », Durkheim déclare « L’action morale est celle qui poursuit des fins impersonnelles. Mais les fins impersonnelles de l’acte moral ne peuvent être, ni celles d’un individu différent de l’agent, ni de plusieurs… Or, en dehors des individus, il ne reste plus que les groupes formés par leur réunion, c’est à dire les sociétés. Donc les fins morales sont celles qui ont pour objet une société.
Agir moralement, c’est agir en vue d’un intérêt collectif »p50. L’éducation morale, consistera donc logiquement à favoriser cette identification de l’individu à la collectivité. « Pour pouvoir s’attacher à des fins collectives, il faut avoir tout le sens et le goût de la collectivité… »p202, Ce qui amène Durkheim à ses préceptes d’éducation morale : « Il faut leur faire prendre goût [aux enfants] à une vie collective plus étendue et plus impersonnelle que celle dont ils ont l’habitude… en réalité, rien n’est agréable comme la vie collective, pour peu qu’on y ait été habitué dés le jeune âge »p203
Guevara, dans ses discours, parle abondamment de la « morale socialiste » Par exemple : « La norme [de production] n’est pas un simple point de repère. C’est l’expression d’une obligation morale du travailleur. C’est son devoir social »p175.
Guevara s’intéresse en particulier aux « stimulants moraux » destinés à soutenir cette morale. Ces stimulants sont :
- L’émulation :
« Qu’est ce que l’émulation ? L’émulation est tout simplement une compétition [pour] perfectionner chaque centre de travail, chaque unité de production et de les mener à la tête de
La construction du socialisme. Autrement dit, c’est la compétition la plus noble qui soit : elle doit montrer qui, dans toute la nation, construit le mieux et le plus vite le socialisme »p92-93
- La pression du groupe :
« La collectivité ouvrière doit faire pression sur les camarades qui refusent d’étudier, qui se moquent, qui ont des idées rétrogrades… la collectivité doit se montrer sévère avec ce genre d’individus, car celui qui, en ce moment, refuse de se perfectionner, fait du tort aux possibilités futures du pays »p288 « [l’ouvrier] produit encore très souvent sous la contrainte du milieu (c’est ce que Fidel appelle la contrainte morale) »p288
- L’éducation morale :
« La jeunesse est particulièrement importante, car elle est l’argile malléable avec laquelle on peut construire l’homme nouveau, débarrassé de toutes les tares du passé »p292

Le récit socialiste
Le récit socialiste correspond au projet socialiste. Il s’agit d’une histoire dans laquelle des individus convaincus agissent unanimement avec enthousiasme en faveur d’un objectif commun.
Le récit socialiste est la transposition d’un type de récit préexistant : le récit héroïque. Prenons par exemple : « L’armée des ombres » de Joseph Kessel. Ce roman contient dans l’ordre les éléments suivants :
- La présentation du bien public : La libération de la France du joug de l’occupant.
- Le recrutement d’adeptes dévoués à la cause : les jeunes que le chef du réseau convainc de s’enrôler dans la résistance.
- La réalisation consciente des plans établis pour atteindre l’objectif : les faits d’armes.

La geste des ‘guerrieros’ cubains, futurs dirigeants de l’Etat socialiste, est un autre récit héroïque, tout prêt à se transformer en récit socialiste.

Le récit socialiste est un récit héroïque en temps de paix. Rien ne change, si ce n’est que l’objectif n’est plus militaire, mais civil.
Ainsi, l’album « objectif lune » de Hergé, contient les mêmes éléments que le roman de Kessel, et dans le même ordre.
- La présentation de l’objectif unanimement recherché (la lune).
- Le recrutement des adeptes (le professeur montre la fusée lunaire en construction à ses amis).
- La réalisation consciente et collective du plan d’action établi pour atteindre l’objectif  (la construction et le décollage de la fusée).
De même, dans le roman d’Albert Camus « La peste », la découverte de la maladie à combattre, le recrutement (et la conversion) des volontaires, et la lutte collective et consciente contre la maladie sont les éléments, qui font de cet ouvrage, un modèle de récit socialiste.

Le libéralisme

Ainsi que le dit si bien Walras « l’opposition à cette croyance (dans l’idéal social) et à cet effort (de le réaliser consciemment) telle est la raison d’être du libéralisme. La crainte du dogme et l’horreur du despotisme, tel est le caractère du libéralisme. Aux yeux du libéralisme, l’activité humaine peut engendrer spontanément, si on la laisse en toute liberté, le mouvement progressif de la société »(p12)

La doctrine libérale
La doctrine libérale repose sur deux propositions qui viennent contredire les deux propositions socialistes.
 1): l’intérêt général ne consiste que dans l’obéissance à des règles abstraites
Le résultat atteint n’a pas de valeur en lui-même, ni même la procédure pour l’atteindre Tout ce qui compte, c’est que certains principes soient respectés. Ainsi, R.Nozick écrit : « La conception de la justice fondée sur les droits de possession ne donne aucune présomption en faveur… de tout modèle d’ensemble ou d’état final »p287. Hayek5 écrit « L’intérêt qui est commun à tous les membres de la société… réside seulement dans l’adaptation permanente aux changements de circonstances »p111. Comme l’écrit Ph. van Parijs à propos de Nozick « la justice d’une situation dépend de son pedigree »
L’intérêt général, si tant est qu’une telle notion ait encore un sens, signifie seulement deux choses :
- la ‘liberté négative’ :
Hayek « les valeurs fondamentales de la grande société… garantissent à l’individu le droit, dans un domaine connu, de poursuivre ses objectifs »(p155) « permettre à chacun de se créer un domaine protégé contre les troubles indûment causés par d’autres gens »(p180)
- le respect de la ‘règle du jeu’.
Chez Hayek, il s’agit du ‘jeu de la catallaxie’, jamais clairement défini, mais au cours duquel chacun essaye de tirer le meilleur parti de ses connaissances.
Chez Nozick, il s’agit de l’échange volontaire de droits de propriété.
Le bien public se confond avec l’histoire, tant que personne ne contrevient aux règles.

2): puisqu’il n’y a pas de procédure définie ou de résultat défini, il est vain de les rechercher
Le fait que l’intérêt général n’est que l’absence d’infraction, élimine toute tentative pour y parvenir consciemment.
Ceux qui prétendent agir en vue du bien public, en particulier les gouvernants, ne peuvent donc être que :
- soit des imposteurs qui profitent de la croyance du peuple dans l’intérêt général, pour prélever une rente parasitaire.
- soit des individus qui érigent leurs propres idéaux en objectifs collectifs et qui ont l’oreille des médias. Hayek parle des « revendeurs d’idées » à propos des journalistes qui réclament des subventions pour l’art ou la science.
- soit des illuminés qui poursuivent des chimères.
Le sociologue libéral Raymond Boudon a développé cette idée dans « L’idéologie et l’origine des idées reçues » (1986). Pour lui, les « grandes idées » sur le bien commun, sont la conséquence d’erreurs logiques et d’erreurs de perception.
De ce fait, le libéral, au rebours du socialiste « se défie de l’enthousiasme » (Benjamin Constant). L’action unanime des socialistes est pour lui une manifestation du délire collectif.

La morale prêchée par les libéraux
La morale prêchée par les libéraux est l’accompagnement de l’idée de liberté négative : Elle prescrit de respecter les choix de vie d’autrui. Il nous semble que la célèbre définition de l’individualisme de Tocqueville exprime bien cette idée : « L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible, qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte qu’après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même »(DA.T2.p125). On peut citer également la définition du bonheur selon Benjamin Constant : « Les hommes n’ont besoin pour être heureux que d’être laissés dans une indépendance parfaite sur tout ce qui a rapport à leurs occupations, à leurs entreprises, à leur sphère d’activité, à leur fantaisie »(1813p102). On pourrait qualifier la morale libérale de morale de l’autarcie : chacun doit vaquer à ses affaires sur ses propriétés et laisser les autres libres de faire de même.

Le récit libéral
Le récit libéral est la transposition d’un type de récit préexistant : l’histoire naturelle.
Au siècle des lumières, les philosophes se font fort d’expliquer les phénomènes naturels, sans faire intervenir la création divine. L’hypothèse de l’existence de Dieu n’est pas nécessaire à la compréhension de l’organisation de la nature. Par exemple, dans son poème sur le tremblement de terre de Lisbonne (1755), Voltaire explique, dans une première partie, que Dieu n’a pas pu vouloir punir les pieux Lisboètes, alors qu’il épargnait les Parisiens dissolus. Dans la seconde partie, il explique que l’action de la « matière rebelle », sujette par sa nature mobile et cassante, à des mouvements tels que les tremblements de terre, suffit à elle seule à expliquer le drame.
Le récit libéral est l’histoire naturelle des sociétés humaines.
L’auteur libéral est un voltairien de la politique. Il n’a pas la foi dans l’existence de l’intérêt général. Il se fait fort d’expliquer la genèse de toutes les formes d’organisation sociale, sans faire intervenir l’action de l’Etat ou des citoyens en faveur du bien public
Prenons l’exemple de l’article : « On the origin of money ». Carl Menger  y donne une explication qu’il qualifie d’ « organique », à l’apparition de cette marchandise particulière. La monnaie est en effet « Le résultat imprévu des efforts particuliers et individuels, des membres de la société ». « Les hommes ont été conduits par une connaissance croissante de leurs intérêts économiques, sans convention, sans intention légale, et même sans aucun égard pour l’intérêt commun » (souligné par nous). On sait que la reconstitution des évènements par Menger repose sur l’existence de biens plus ou moins « vendables ». On peut décomposer ces évènements en deux éléments :
- L’explication du choix des agents qui demandent des marchandises « vendables » sur le marché en espérant les échanger contre des biens qu’ils désirent lors du marché suivant.
- la présentation de la conséquence de ces choix : Certains biens (puis un seul) seront unanimement acceptés lors des échanges.
La plupart des récits libéraux pourraient s’intituler « De l’origine de… ». En effet, il s’agit de raconter comment telle ou telle institution, en général jugée utile, est apparue sans intention consciente des hommes de l’instituer. Ce que l’on pourrait appeler la « parabole de la route » de Hayek, en fournit le modèle : « La façon dont sont tracés les sentiers dans un pays sauvage, fournit un tel exemple. Au début, chacun cherche pour soi, ce qui semble être le meilleur sentier. Mais le fait qu’un sentier ait déjà été suivi, le rend probablement plus aisé à suivre, et il est probable qu’il sera de nouveau utilisé. Ainsi, progressivement, des chemins de mieux en mieux tracés apparaissent, et en viennent à être utilisés à l’exclusion d’autres routes possibles »(1952p58)
Socialisme et libéralisme apparaissent donc contradictoires, chacun étant la négation de l’autre. Le projet économiste va pourtant en faire la synthèse, ou, pour mieux dire, le composé. Et le récit économique va, de même, prendre des éléments du récit socialiste et des éléments du récit libéral, pour former un type de récit original.
L’économisme
Walras proclame : « Etant scientifiquement tout à fait socialiste, je trouve encore le moyen d’être politiquement aussi profondément, aussi sincèrement libéral, que qui que ce soit puisse être »(p19).Walras et les autres économistes vont donc être plus ou moins socialistes en théorie, et aussi libéraux que faire ce peut dans la mise en pratique de la théorie7.
La doctrine économiste
1) L’intérêt général est un état social particulier ou résultant d’une procédure particulière.
« Je ne puis m’empêcher d’attendre, pour le saluer avec admiration et enthousiasme, quelqu’un de ces dogmes souverains, fruits de la réflexion et de la science, qui […] ordonnerait le monde des intérêts et des droits, comme l’astronomie a ordonné le monde des corps célestes »(p13) (le mot ‘dogme’ n’a pas ici de connotation négative. Il s’agit toujours de la ‘formule sociale’ que le penseur social se doit de chercher).
Pour Walras, la distribution juste (et utile) est celle qui résulte d’un échange juste de dotations initiales elles-mêmes justes. Cette idée nous semble la même que celle de Nozick.. Cependant, alors que Nozick raisonne en terme d’échange bilatéral et déclare ‘juste’ n’importe quel point de la courbe des contrats accepté par les deux échangistes, l’échange juste de Walras se manifeste par la règle du prix unique, et par des prix et des quantités échangées uniques (les prix et les quantités d’équilibre) qui sont le résultat de l’échange juste.

2) Bien que le bien public soit déterminé, les individus ne doivent pas le rechercher consciemment.
L’argument de Walras est politique : pour amener les individus à agir consciemment en vue du bien public, comme le veulent les socialistes, l’Etat devrait recourir à l’endoctrinement et à la coercition. « Dans ce système, la politique ayant purement et simplement pour objet la mise en pratique immédiate de la formule, a pour ressource nécessaire et suffisante le despotisme »(p21)
Les socialistes négligent, selon Walras, le fait suivant :
« Une différence existe […] entre la politique et la géométrie :
la réalité à laquelle il est fait application des principes théoriques et scientifiques [en géométrie] étant une réalité impersonnelle, il n’y a pas lieu d’agiter au sujet de cette application aucune question morale ;
au contraire,
la réalité à laquelle il est fait une application des principes théoriques et scientifiques, en politique, étant l’homme réel, actif, libre, personnel, il y a lieu d’agiter au sujet de cette application la question morale du despotisme et de la liberté, et de la résoudre dans le sens de la liberté »(p17). Par le biais de la morale politique, Walras emprunte donc aux libéraux l’idée de la liberté négative.
Donc il ne faudrait pas sacrifier la liberté individuelle à la recherche de « la formule ». L’Etat est « odieux, quand il prétend nous imposer sa religion et ses croyances »(EESp213)
Il est donc temps, maintenant, de devenir libéral puisque « l’horreur du despotisme, tel est le caractère du libéralisme.(p13). L’Etat doit guider les individus vers le bien public, mais sans les contraindre « dans l’ordre moral […] l’homme d’Etat […] doit se placer au point de vue relatif, et chercher un compromis entre les exigences de la science et les circonstances où il se trouve »(EAp410). Quant aux individus, c’est leur droit de poursuivre leurs propres fins. Ainsi, dans sa « conciliation du spiritualisme et de l’économie politique », Walras entend dégager «[ …] de véritables principes moraux formulés en vue de la liberté individuelle du travailleur, comme sont la liberté du travail, la liberté du commerce »(EESp78)

La doctrine économiste permet donc de concilier le bien public et la liberté (négative).

La morale prêchée par les économistes
La morale prêchée par les économiste est double, comme on le verra dans le dernier chapitre.
Elle prescrit, pour des raisons instrumentales, de respecter les lois et les contrats.
Elle prescrit, pour des raisons de principe, de se préoccuper de son propre sort. Rechercher son propre intérêt est une fin morale. Walras écrit par exemple à propos de la division du travail : «[ …] quand un homme fait des souliers lorsqu’il veut manger, et quand il veut boire, et quand il veut s’abriter, n’est-il pas clair que l’accomplissement libre de sa destinée est solidaire de l’accomplissement libre de la destinée de tous les autres hommes, dont les uns font du pain, les autres du vin, etc. ? »(EESp116-17). Dans ce sens, la morale des économistes n’est pas autre chose que la morale des libéraux adaptée à une société ou les individus entrent en interaction, comme on essaiera de la montrer dans la conclusion générale.
Le récit économique
Il s’agit donc de faire réaliser le bien public au contenu déterminé, par des personnages qui s’en désintéressent. C’est la contrainte politique et littéraire du récit économique 
En vue de réaliser cette contrainte, le récit économique, qui est toujours l’illustration de la doctrine, devra donc raconter comment des individus à la poursuite de leur intérêt particulier, réaliseront, plus ou moins biens, plus ou moins aidés par l’Etat, le bien public.
Le récit économique est scientifique pour la même raison que le récit libéral d’auto organisation est scientifique : Il faut montrer que la cité idéale que l’on décrit est logiquement possible en résolvant le paradoxe d’un bien public atteint par des individus qui ne le recherchent pas.
Maintenant, avant de continuer, nous souhaitons préciser ce que nous entendons par ‘le bien public’ et par ‘des individus qui ne le recherchent pas’.
Qu’est ce que le bien public ?
Nous prenons le terme de ‘bien public’ dans son sens courant d’intérêt général, de but collectif, d’objectif social… Nous appelons bien public, tout but que l’on peut fixer pour une collectivité, c’est à dire ce que recherchent toutes les éthiques sociales. Nous acceptons toutes les formes du bien public, et notamment les suivantes :
- la justice, l’égalité… sous toutes leurs formes, telles qu’elles sont définies par la philosophie politique.
- l’efficacité, le bien être social… sous toutes leurs formes, tels qu’ils sont définis par l’économie normative.
- la pureté religieuse, la vertu civique, la construction du socialisme… et les autres objectifs sociaux que Ph. van Parijs qualifie de « perfectionnistes », car on n’y parvient que si chaque individu se perfectionne.
Et nous acceptons aussi, ce que l’on appelle les formes ‘indigènes8’ du bien public (voir aussi le paragraphe suivant), c’est à dire tout ce que M ou Mme tout le monde peut penser de ce que ‘il faudrait faire’ ; comme par exemple, rétablir la monarchie, interdire les pesticides, ou préparer l’arrivée des extra-terrestres.
Le bien public a un lien étroit avec l’Etat. En effet, le bien public est ce que devrait vouloir le gouvernement, le législateur, le Prince éclairé… en un mot, l’Etat pris dans le sens de tous ceux qui représentent la collectivité. L’éthique social est, par exemple, implicitement ou explicitement l’éthique de l’Etat. On appelle donc ‘bien public’, tout ce que peut souhaiter un Etat bienveillant.
Par ailleurs, il nous semble utile de rappeler que les économistes parlent parfois des « biens publics » comme synonyme des « biens collectifs ». Dans le langage des économiste, un « bien collectif  », c’est un bien que l’on peut consommer sans diminuer la part du voisin (comme une émission de télévision par exemple) et que, en plus, on ne peut pas empêcher le voisin de consommer (comme un feu d’artifice par exemple : on peut ‘crypter’ une émission de TV, mais pas un feu d’artifice). Un bien collectif est donc dit « non rival » et « non excludable ».
Enfin, notre but n’est pas de prendre parti pour telle ou telle forme de bien public. De notre point de vue, il n’y a d’autre bien public que ce qui est jugé tel par les individus concernés.

Qu’est ce que des individus qui ne recherchent pas le bien public ?

On vient de voir que les principes de base du projet économiste conduisaient à faire réaliser le bien public par des individus qui ne s’en soucient pas. Nous voulons ici préciser ce que peut signifier : ‘ne pas se soucier du bien public’. Nous appellerons cette attitude ‘non-souveraineté’ puisque dans la doctrine classique de la démocratie, le souverain n’est pas seulement l’ensemble de ceux qui ont le pouvoir, il est aussi l’ensemble de ceux qui expriment leur opinion (et pas seulement leur intérêt) sur les affaires de la cité.

On peut donner de cette attitude deux définitions, une définition, disons, méthodologique, et une définition, disons, extensive.

Définition méthodologique
On peut énoncer un axiome que tous les modèles et récits économistes devront respecter :
« Quel que soit l’objectif du modélisateur, il n’existe aucun agent dont ce soit aussi l’objectif »

Autrement dit, quelle que soit la définition du bien public retenue par l’économiste, aucun des personnages qu’il imagine et dont il peuple son récit ne reprend cet objectif à son compte.
Par exemple, chez Walras, l’intérêt et le droit de l’individu, c’est de travailler à l’ « amélioration de sa position personnelle », c’est à dire que le but de l’individu est censé être l’amélioration de son propre sort. En revanche, l’ « intérêt et le droit de l’Etat » qui représente la ‘communauté’ et en fait aussi l’économiste, c’est de maintenir « l’égalité des conditions », c’est à dire l’égalité d’accès aux moyens d’améliorer son sort.
Par exemple, dans sa présentation de son célèbre modèle de négociation, Edgeworth précise bien que les agents sont égoïstes, alors que la norme qui permet de juger le résultat d’ensemble est l’utilitarisme.
De même, dans le modèle de « justice sociale optimale » de Kolm, les agents sont altruistes et le modélisateur est paretien.
Dans Besley et Maitreesh (2005), les individus cherchent à remplir ce qu'ils considèrent comme leur 'mission' alors que le modélisateur cherche à maximiser la production.9
Le seul article que nous connaissons où cette différence n'existe (éventuellement) pas est Maskin et Tirole (2004)10. Dans leur modèle, les agents et le modélisateurs veulent (éventuellement) le même état social. Néanmoins le modélisateur a (éventuellement) un avantage informationnel. La dichotomie: ne recherchent pas / recherche le bien public nous semble alors remplacée par la dichotomie: ne savent pas / sait comment atteindre le bien public.
Une situation dans laquelle les individus engagés dans l’action auraient le même objectif que le modélisateur aurait pour résultat une impossibilité logique ou un retour au socialisme.
Pour prendre l’exemple le plus simple, imaginons la situation d’un monopole en équilibre partiel. Supposons que la mesure du bien public est le surplus au sens de Marshall. Si les individus engagés dans l’action, consommateurs comme producteur, souhaitent consciemment maximiser ce surplus, les consommateurs pourront révéler leurs préférences au producteur qui établira la courbe de demande et offrira spontanément la quantité pour laquelle le prix du marché est égal au coût marginal. La question économique est réduite à un problème d’ingénieur telle qu’elle peut se poser dans un Etat socialiste.

Définition extensive
Quel contenu peut prendre le bien public, non pas pour un modélisateur extérieur, mais pour un individu engagé par l’action ? C’est ce que l’on pourrait appeler les formes vernaculaires du bien public. On distinguera, dans le chapitre 7 et dernier, deux catégories :
Le bien public défini sur des biens
Par égalitarisme, paternalisme, ‘fair play’, utilitarisme subjectif... un individu peut classer les états sociaux non seulement en fonction de ses propres consommations mais aussi en fonction des consommations des autres individus.
Le bien public relationnel
Par goût ou dégoût de la hiérarchie, de la coopération, de la négociation, de la concurrence... un individu peut classer différemment deux allocations identiques obtenues au moyen de relations sociales différentes.
Les agents économiques ne s’intéressent à aucune de ces trois formes du bien public, pas plus qu’à ses formes ‘savantes’ conçues par les économistes.

L’attitude de non-souveraineté dans les récits économiques
Dans les œuvres écrites par les économistes, cette attitude propre aux « homo oeconomicus » va presque toujours sans dire : elle est comprise dans le « postulat de rationalité ». Elle n’est énoncée clairement que quand il s’agit de mettre en scène des individus qui sont réputés agir en vue du bien public, ou qui prétendent le faire : les électeurs, les élus et les fonctionnaires :
A propos des premiers, Anthony Downs, dans la préface de son ouvrage « Une théorie économique de la démocratie »(1957) est tout à fait direct :
« Nous supposons que tout individu est rationnel, mais aussi égoïste »(1996[1957]p233)
Et à propos des derniers, W.A. Niskanen, dans un article qui commente son ouvrage « Bureaucracy and the representative government »(1971) est moins direct mais tout aussi clair :
« Soit le gestionnaire d’un bureau de l’administration publique ayant la fonction d’utilité suivante : U = ?Y?P?
Y est la valeur actuelle du revenu du bureaucrate correspondant à son poste, et P l’ensemble des avantages non financiers correspondant à ce poste. P comprend le temps dont il dispose pour ses loisirs, les avantages personnels et sociaux liés à sa fonction, la considération dont il jouit… (Niskanen 1996[1975]p425)
Par ces déclarations, Downs et Niskanen indiquent que dans leurs récits les électeurs et les fonctionnaires ne s’intéressent pas au bien public, mais à leur intérêt particulier. Ils indiquent par cela même qu’ils élaborent des théories « économiques » (c’est à dire, pour nous, ‘économistes’) de la démocratie et de la bureaucratie.

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Notre étude se compose 7 chapitres.

Dans les chapitres 1 à 4, consacrés au « récit économique », nous verrons que le début du projet des économistes peut se lire comme une ‘fable’ sur le modèle de la « fable des abeilles » de Mandeville. Nous nous livrerons à une décomposition de ces fables que nous appellerons ‘récits économiques’, afin d’examiner par quelles méthodes les modélisateurs transforment l’insouciance du bien public en réalisation de ce même bien public.

Dans le chapitre 5 consacré à l’ « Etat économiste », nous verrons que la poursuite du projet des économistes peut s’étudier comme l’édification d’une cité administrée selon les préceptes de Bentham. L’Etat est à la fois l’instrument du projet du théoricien et le lieu de l’affrontement des intérêts égoïstes. L’élaboration intellectuelle de cet Etat original se poursuit de nos jours.

Dans le chapitre 6 consacré à la « morale prêchée par les économistes », on verra que les économistes poursuivent les idées de Benjamin Constant en associant le désintérêt pour le bien public à la liberté ‘des modernes’ et à la paix civile. Les économistes encouragent de diverses manières, cette morale qui empêche le retour de la barbarie.

Dans le chapitre 7, plus prospectif, on reviendra sur les principales institutions de l’économie : le marché, les entreprises… et on essaiera de montrer que, si les individus ont une opinion sur le bien public, elles ne sont plus le seul moyen d’allouer efficacement les biens et les ressources.

En conclusion, on s’appuiera sur un article du philosophe Charles Taylor, pour essayer de montrer que le projet des économistes réalise, dans ce monde, une cité idéale construite à partir de l’idée de liberté négative. Nous verrons à quoi ressemble la vie des individus dans la cité réalisée.

Une dernière remarque à propos du sens que nous donnons au mot « économiste ». Nous reprenons le sens que lui donne parfois Walras, quand il oppose les économistes, aux socialistes d’un côté et aux « manchesteriens » (libéraux) de l’autre. Les économistes sont les partisans du laissez faire, mais dans un cadre légal et étatique déterminé par la raison.
Dans la pratique, nous qualifierons d’ « économistes », Walras, Marshall, Pigou... et leurs successeurs ; c’est à dire les héritiers des néoclassiques dans le sens le plus large et le plus étendu (‘nouveaux classiques’, ‘néo-institutionnalistes’, ‘autrichiens’, ‘jeux non-coopératifs’...).
- nous excluons les classiques (Smith, Ricardo...) et leurs successeurs (Sraffa), parce que nous les connaissons mal, et aussi parce que nous avons l’impression que leur projet est d’avantage positif (comprendre le capitalisme) que normatif.
- nous excluons Marx pour les mêmes raisons. Le flou de l’évocation par Marx de la société communiste, contraste entièrement avec le modèle économique et social « clés en mains » élaboré par les néoclassiques et leurs successeurs.
- en revanche, nous incluons Keynes et les keynésiens (Hicks, Kaldor, Clower...). En effet, l’idéal social de Keynes est le même que celui des néoclassiques : c’est l’équilibre concurrentiel optimal (équilibre de plein emploi dans le langage de Keynes). La différence, c’est que Keynes pense que la concurrence marchande ne permet pas d’atteindre cet idéal sans l’aide de l’Etat.
Ajoutons que nous ne sommes nous mêmes ni keynésien, ni marxiste, ni régulationniste, ni ‘holiste’, ni communautariste. Nous ne défendons pas non plus une forme de justice sociale. La seule valeur que nous défendrons dans cet ouvrage est la liberté individuelle.
Mais, dira-t-on, les économistes ne sont ils pas eux mêmes les champions de l’individualisme, qu’il soit méthodologique ou idéologique ? Oui et non (on pense à certaines formulations très 'holistes' de Arrow11). Les actions des agents économiques nous semblent enserrées dans un cadre rigide, qui contraint finalement la liberté des individus quand la théorie est mise en pratique sous la forme de politique économique et de 'institutions building' .

 
 
 
  1. Les agents économiques recherchent leur propre intérêt, face aux autres agents, dans leurs opérations de production et d’échange. Cela ne les empêche pas, entre deux périodes de marché, de donner tous leurs biens s’ils le souhaitent. Par ailleurs cette redistribution volontaire éventuellement souhaitée par les agents est différente du bien public défini par l’économiste. Le seul cas ou l’altruisme des individus les conduit à rechercher le bien public est l’utilitarisme dans la version qu’en a donné Harsanyi dans son fameux article de 1955 (v. ch. 2)

2. in : « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale », sous la direction de Monique Canto Sperber PUF 1996

3. Van Parijs écrit ceci de l’utilitarisme benthamien, mais ce qu’il dit nous semble beaucoup plus proche de la conception classique.

4. et même juridique, tant la nouvelle philosophie du droit telle qu'elle a été « refondée » par Rawls et Habermas notemment, complète bien les idées déjà exprimées par les économistes.

5. Hayek nous semble hésiter entre cette conception radicale du bien public, et la conception walrasienne qu’il semble utiliser implicitement quand il combat le socialisme mathématique à la Lange.

6. Carl Menger : On the origin of money. Economic journal vol 2 (1892) pp 239-55

7. même Keynes, ne demande, après tout à l’Etat, que d’inciter les entrepreneurs à investir et d’inciter les consommateurs à consommer.

8. En référence lointaine à l’idée de Bronislaw Malinowski selon lequel l’ethnologue doit tenter de s’identifier aux sujets pour comprendre le « point de vue indigène ».

9. Besley T. and Maitreesh G. « Competition and incentives with motivated agents » the American Economic Review, vol 65 n°3 june 2005.

10. Maskin E. and Tirole J. « The politician and the judge: accountability in government » the American Economic Review, vol 94 n°4 september 2004 pp.1034-1054.

11. par exemple « lorsque le marché ne peut pas atteindre un état optimal, la société – dans une certaine mesure au moins – s'apercevra de cet écart, de sorte que des institutions non marchandes surgiront, qui chercheront à combler la différence  « Uncertainty and the Welfare economics of Medical Care »(1963) repris et traduit dans Thierry Granger ed. Théorie de l'information et des organisations  Dunod 2000 pp. 109-144

 
 
     
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